Martha Hall Findlay
La Presse

11 septembre 2019


Merveilleux chroniqueur et observateur (anglophone) de tant de choses canadiennes, l’auteur Roy MacGregor a déjà comparé le Canada à un bourdon. À première vue – un grand corps, de minuscules petites ailes –, on ne peut pas croire qu’il pourrait voler.

Mais c’est le cas.

De même, le Canada, avec sa géographie immense et incroyablement variée, ses forces économiques régionales ; deux nations, cultures et langues « fondatrices » officielles ; toutes les tribus autochtones et leurs cultures et langues qui ont précédé le contact avec les Européens ; une histoire d’immigration menant à l’une des populations les plus diversifiées du monde – comment ce pays parvient-il à fonctionner réellement ?

Mais c’est le cas. Et non seulement le pays fonctionne-t-il, mais en plus, il réussit extraordinairement bien à plusieurs égards. Pour la plupart, nous habitons dans l’un des endroits les plus prospères du monde sur les plans économique et social.

Nous avons récemment célébré ce succès, notamment en soulignant le 150e anniversaire du concept politique qu’est le Canada. En même temps, nous avons mieux reconnu ses erreurs, ses bosses, ses bleus. Au fil des ans, la fédération a connu ses moments sombres, ses défis et – surtout avec le Québec – des menaces occasionnelles à son existence même en tant qu’entité unifiée.

Pourtant, la fédération n’a jamais connu période plus périlleuse que maintenant – du moins de mon vivant.

Et l’une des raisons pour lesquelles la situation est si critique, c’est que la plupart des citoyens du centre et de l’est du pays ne voient pas ce qui se passe, ne comprennent pas que les sentiments d’aliénation de l’Ouest sont si forts, ni pourquoi.

Mieux que tous les autres Canadiens, les Québécois devraient comprendre ce qui se passe. Mais les discours politiques dans les régions du centre et de l’est, dans les médias, à Ottawa – mais aussi les discussions et les conversations privées, partout – semblent ignorer le problème. Ou même qu’un problème existe.

La possibilité qu’une grande partie de l’Ouest canadien décide de se séparer du reste du Canada est bien réelle. Il ne s’agit pas de paroles en l’air. Les discussions sont sérieuses. D’importantes ressources intellectuelles et financières appuient cette démarche. Et c’est pire qu’il y a plusieurs décennies quand le père du premier ministre était premier ministre. C’est sérieux.

Certes, beaucoup de gens rejettent le concept. « Qu’est-ce que l’Alberta et la Saskatchewan auraient à gagner en se séparant ? se demandent-ils. Ce serait un pays encore enclavé entre deux morceaux du Canada. Ça n’aiderait pas le défi du moment, l’incapacité de transporter le pétrole, le gaz et d’autres ressources vers les marchés mondiaux, soit à travers la Colombie-Britannique, soit par l’Ontario et le Québec. » Les gens disent que la séparation n’offrirait pas de solution…

Beaucoup de personnes, même dans l’Ouest, y compris tant de gens qui sont fâchés, qui comprennent et partagent ces frustrations, ne pensent pas que la solution se trouverait dans la séparation. En effet, la dernière fois que de tels sentiments séparatistes ont été exprimés en Alberta, aussi appuyés par des gens sérieux, ils se sont estompés. En partie parce que les gens ont reconnu que l’Alberta enclavée aurait de la difficulté à connaître plus de succès, seule, hors du Canada ; en partie parce que les conditions économiques se sont améliorées avec le temps.

Mais cette fois, c’est différent. Le niveau de frustration est pire.

Les principaux dirigeants du présent gouvernement fédéral – ainsi que de nombreux Canadiens du centre et de l’est du Canada – ont fait savoir très clairement qu’ils ne soutiennent pas la survie – encore moins le succès – de l’industrie pétrolière de l’Ouest, notamment les sables bitumineux et la nécessité de construire des oléoducs. Sans en comprendre l’importance économique pour l’ensemble du pays.

Mais ce qui rend le propos très différent – et beaucoup plus plausible – cette fois, c’est que ce n’est pas seulement l’Alberta, ni l’Alberta et la Saskatchewan ensemble (mais encore seules). Le propos actuel comprend une grande partie de la Colombie-Britannique – au centre et au nord –, ce qui donnerait à ce nouveau pays accès à l’océan et aux marchés asiatiques. Pas un pays enclavé. Oui, cette fois, c’est différent. Et c’est très grave.

Le reste du Canada réagira-t-il de la même façon que le « reste du Canada » non québécois a réagi lorsque tant de Québécois ont voulu se séparer ? Y aura-t-il un effort pour comprendre pourquoi tant de gens dans l’Ouest sont si en colère qu’ils estiment qu’il serait préférable de ne plus faire partie du Canada – cette merveilleuse histoire de réussite ?

Ceux qui font maintenant campagne pour les élections en octobre reconnaîtront-ils l’importance de cette question et seront-ils prêts à participer au débat qui s’impose ? Le Canada en a besoin. Espérons que oui.

* Martha Hall Findlay est présidente et chef de la direction de la Canada West Foundation et ancienne députée libérale fédérale